Gossypium arbarium… Gossypium herbaceum… Gossypium barbadense… Gossypium hirsutum…
Au commencement, je n ́étais que fibre.
On me cueillit et on me transforma en fil pour faire de moi un tissu.
Tissu, j ́aurais pu le rester pour couvrir la nudité de l ́humanité.
Toile, j ́aurais pu le demeurer pour étoffer le rêve des hommes libres.
Hélas, on vola mon destin pour faire de moi le linceul des destins brisés.
J ́étais bleu à Pondichéry, je devins rouge de sang sur les rives de la Senegambie.
Guinée, murmura l ́eau.
Peut-on essuyer les larmes d ́un fleuve avec un oripeau ?
Je devins bâillon pour taire les bruits des chaines
On se servit de moi pour essorer la sueur
essuyer le sang
frotter les corps
épousseter l ́infamie
dépoussiérer la bonne conscience
et nettoyer la honte.
Dans les cales, je nettoyais les plaies
Je pansais la douleur de l ́étranger
J ́étouffais les plaintes d ́un continent saccagé
Témoin de barbarie, de cruauté et de bestialité,
Je pends comme un vulgaire drapeau sur le mat entaché par la mort
Madras, marmonna l ́océan.
Caraïbes !!! Lorsque de tes rivages souffle le vent pour faire siffler les voiles et le mat, je ploie sous la honte.
Je sèche les larmes.
Je couvre les corps meurtris par les coups de fouet.
J ́enveloppe la chaire boursouflée qui se rappelle la douce brise de la savane.
Je fagote la mort pour qu’elle paraisse belle et innocente.
Je pare l ́inhumanité par la mission civilisatrice.
Et parade la conscience habillée de pharisaïsme.
Mais, qui a attaché ce morceau de sucre au bout de mon mouchoir ?
Legba accueille Karuppu sami
Ba mouin la main, fwè
Negre, negrier, negritude…
Zindiens, girmitya, alegromitya…
Maitres, esclaves, engages, durais…
Colons, colonies, colonisateurs…
J ́essuie les mots blancs de mon tableau noir
Peut-on effacer la mémoire ?
Le thappatai, le djembe, le gwoka résonnent sur l ́archipel fragmenté.
L ́afrovidien crie…Kreyol!
Ki Kreyol ? lui retorque l ́archipel des fragments.
Polyphonie
Décrit comme » l’un des plus grands conteurs de notre époque » par l’écrivain français primé Alain Mabanckou, l’auteur francophone Ari Gautier, né d´une mère Malgache et d´un père indien a passé son enfance dans l’ancienne colonie française de Pondichéry, en Inde du Sud.
Après quelques années passées en France, Il vit actuellement à Oslo,
Ari Gautier est l’auteur de Carnet Secret de Lakshmi, Le Thinnai et Nocturne Pondichéry trois ouvrages francophones qui mêlent de manière créative plusieurs langues dont le français, le tamoul, le sanskrit, le créole Pondichérien et l’anglais.
Nominé pour le prestigieux prix littéraire français Le Prix du Printemps du livre du forum de Saint Louis, l’écrivain a obtenu une reconnaissance internationale pour ses œuvres qui donnent un aperçu de l’histoire du pays, du dynamisme multiculturel de la ville, du système des castes indien et l’impact de la domination française à Pondichéry.
Auteur
Ari Gautier
Pays
Inde
Éditeur
texte inédit
Email
gautierari@gmail.com
Site internet
https://arigautier.com/
Comédien
Edeen Bhugeloo