Lʼenvolée
où est-elle passée
celle dont le chant résonnait
entre les pieds de pamplemousse
et les bananiers
où sʼen est-elle allée
celle dont la coutume était de plonger
dans la rivière ouverte sur la ville
des bassines de cuivre
où lʼeau rendait à lʼeau
un torrent de prières
ainsi que sur les rives
du fleuve Kaveri
lʼun sʼefforçait de la piller
lʼautre voulait en faire sa captive
scellée dans un coffret de bijoux
offert à sa propre convoitise
se peut-il quʼelle sʼen soit allée
au moment où les hommes dormaient
en rêvant à lʼodeur de santal de sa peau
et à ses cheveux baignés dʼhuile
certaines savent quʼà la dernière lune
un vieil homme lui avait lu
sur une feuille de latanier
la tournure des astres
et quʼelle en avait dansé
sur les murs et les rochers
les nuages à présent sʼamusent
en traçant des ombres de cerfs et de lions
remontés des histoires quʼelle aimait raconter
peut-être quʼelle a pris les routes
pour monter jusquʼà la forêt
et que nul homme ne le sait
un enfant qui voit
toutes sortes de choses
dit quʼil a conversé sous les filaos
avec un paon échappé des bois
où la femme se serait retirée
il dit que sa grande soeur
a fui les ardeurs de lʼété
et quʼelle est arrivée dans un pays
où la mangue et le basilic
sont servis sur des plateaux dʼor
il parle de son front arrosé
par des averses précoces
et de sa main fraîche aussi
plongée dans de grands sacs de riz
il parle dʼun sommeil de coton
chaque fois terminé
par un grand éclat de rire
où Krishna apparaît
dans un fracas de cloches
il dit quʼelle est partie si loin
quʼà force de marcher
ses pieds meurtris se sont embrasés
prenant la couleur du lotus rouge
Je veux citer Jacques Derrida : « Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne ».
Estelle Coppolani est poète et dramaturge. Elle travaille sur les fonds littéraires de l’océan Indien et sur les phénomènes de recomposition poétique engendrés par les situations de migration. Selon les projets, Estelle écrit seule ou avec d’autres artistes, venus des mondes du spectacle ou des arts visuels. En 2024, son premier recueil de poèmes intitulé « Couronnées d’oiseaux » est paru aux éditions Project’îles. Elle est également commissaire associée à la Cité des Arts de Saint-Denis (La Réunion) et curate l’exposition collective « Zistwar mantèr ». En parallèle, Estelle fait partie du Comité scientifique de l’Edouard Glissant Art Fund ainsi que du Comité éditorial de la maison d’édition féministe Les Prouesses.
Auteur
Estelle Coppolani
Pays
La Réunion
Éditeur
Editions Projectiles
https://www.editions-projectiles.com/
Site internet
https://www.estellecoppolani.com
Comédien
Véronique Nankoo